Si Véronique de la Bachelerie a pris le temps de cet entretien, en ce frileux matin d’avril, ce n’est pas en tant que Directrice Financière des activités de Banque de Détail en France et membre du Comité de Direction de la Société Générale mais en tant que présidente du réseau Féminin by Société générale.
Pourquoi mette en place un réseau de femmes au sein d’une entreprise, comment concrétiser cette ambition au travers d’actions simples mais fondatrices et ancrer cette nouvelle dimension en dépassant les freins culturels ?
Autant de questions que nous rêvions de poser à cette femme enthousiaste et convaincue qui a osé entreprendre là où d’autres se sont, pour l’instant, contentés de rêver.
Les premiers pas du réseau
Plus de 50% des employés gradés au sein de la banque sont des femmes. Elles représentent environ 50% de la première classe de cadres et progressivement leur proportion se réduit au profit de celle des hommes… comme dans beaucoup d’entreprises.
L’idée a donc germé, dans la tête de Valérie Pilcer, de la Direction des risques, de faire avancer la mixité au sein de l’encadrement de la banque au travers de la création d’un réseau de femmes. Cette idée s’est combinée avec l’initiative, déjà mise en œuvre à l’époque, de créer un groupe de cadres dirigeantes, dont je faisais partie. C’est ainsi qu’est né Féminin by Société Générale. On n’a rien à voir avec les RH, c’est une spécificité de notre réseau.
Il nous a fallu, dans un premier temps, définir ce qu’on voulait être et ne pas être. On s’est dit que pour acquérir une légitimité il fallait qu’on se positionne comme des femmes cadres de plus de 10 ans d’expérience qui vont, fortes de cette expérience, définir les actions à mener pour progresser sur le sujet.
Promouvoir la mixité c’est tout d’abord convaincre les hommes des enjeux qui sont attachés à cette dernière, tant au plan commercial qu’au plan RH ou au plan de la performance de l’entreprise. Les études de Mc Kinsey (http://www.mckinsey.com/features/women_matter) sur ces derniers enjeux ont contribué, notamment, à notre réflexion, de même que nos échanges avec Véronique Préaux-Cobti, présidente d’honneur du réseau Grandes Ecoles au féminin et Directrice du cabinet Diafora.
Nous avions trois cibles à convaincre : les managers, les RH et les femmes.
Nous avons commencé, pour ce faire, par organiser, en 2007, des groupes de travail sur 3 thématiques qui nous paraissaient importantes : la gestion des cycles de carrière, le leadership (existe-t-il un leadership au féminin ou pas ?) et le mentoring.
Chaque groupe était mixte et sponsorisé par un membre du Codir. Son objectif était de faire un diagnostic et d’identifier des pistes d’action. On a présenté les résultats aux cadres supérieurs de la Société Générale en leur disant : inspirez-vous de ces actions pour promouvoir la mixité, selon la problématique de vos métiers.
Un certain nombre d’actions ont alors été mises en place, notamment concernant les cycles de carrière. Par exemple, à l’époque beaucoup de processus RH étaient fondés sur l’âge (détection des talents, mobilité géographique et promotion).
On a veillé à ce que ces nouvelles règles ne s’adressent pas qu’aux femmes : elles étaient un frein pour la promotion des femmes mais concernaient également les hommes. Un point est important : la société a évolué et les règles bâties par les hommes et pour les hommes ne sont plus valables dans notre environnement actuel. Ainsi, les femmes mais aussi les hommes sont aujourd’hui soucieux de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ou encore : les femmes comme les hommes travaillent, ce qui veut dire que conditionner les promotions à une mobilité géographique tous les 3 ans implique que le conjoint(ou la conjointe) qui travaille doivent trouver un autre emploi.
Cette règle devient un handicap en termes d’image employeur. On a donc essayé de montrer que les règles passées avaient pénalisé les femmes mais qu’aujourd’hui elles allaient pénaliser l’entreprise en tant qu’employeur et qu’il fallait les faire évoluer.
Les actions menées
On travaille avec les RH pour faire évoluer les règles et avec les managers pour les sensibiliser aux enjeux et les inciter à entrer dans un plan d’action au sein de leur Direction. On travaille également, bien sûr, avec les femmes.
L’approche choisie est constituée de différents types d’activités :
1) Des conférences, ouvertes à tous, sur le sujet de la mixité
2) Des déjeuners, organisés entre des membres du bureau de Féminin by Société générale et des membres du Comex ou du Codir et leur RH. Au cours de ces déjeuners, nous abordons les chiffres de la mixité au sein de la Direction concernée et tentons d’amener le Directeur a une certaine prise de conscience des freins qu’il peut lui-même avoir. Par exemple : une femme ne peut concilier vie professionnelle intense et vie familiale, une femme ne peut pas être mobile géographiquement… lui avez-vous demandé ? On s’aperçoit que lorsque son environnement familial est celui-là il aura tendance à avoir une vision culturelle stéréotypée des femmes au travail.
Dans un second temps, on définit avec lui des objectifs et des plans d’actions pour répondre à ses enjeux (RH et rétention des talents, satisfaction des clientes femmes de la banque – pour qui avoir des équipes mixtes de banquiers conseil en face d’elles est un facteur de différenciation -, etc.)
3) Les femmes elles-mêmes s ‘autocensurent et freinent leur évolution. De plus, managers femmes et hommes ne se rendent pas compte qu’ils ne parlent pas le même langage. Je vais vous donner un exemple : souvent, lorsque vous proposez à une femme une promotion, sa réaction va plutôt être « ah, tu crois que j’en suis capable ? ». C’est une réaction sous-tendue non par le fait qu’elle n’est pas capable mais parce qu’elle a la volonté d’être parfaite. A partir du moment où on connait ce type de réaction, on peut lui répondre : si je te le propose c’est que je pense que tu en es capable.
Un manager homme qui ne connait pas ce type de comportement peut penser : elle n’a pas confiance donc je ne vais pas lui proposer le poste… surtout s’il y a un collègue masculin peut être par ailleurs dans la boucle.
On explique donc aux femmes qu’il faut qu’elles fassent attention à la façon dont elles s’expriment et aussi que ce n’est pas parce qu’on travaille bien qu’on va avoir une promotion assurée : c’est donc non seulement « je fais » mais « je fais savoir et je demande ». Il ne faut pas hésiter à demander tel ou tel poste : vous n’aurez pas forcément le poste demandé mais on pourra penser à vous pour un autre poste. De même on se plaint toutes d’avoir des rémunérations plus faibles que celles des hommes mais on ne demande pas ! Progressivement des écarts se creusent parce que les femmes ont ce type de comportement.
On travaille donc aussi avec les femmes au travers d’ateliers de développement personnel comme « cinq minutes pour convaincre », « Cultiver son réseau « , etc. En ce qui concerne ce dernier sujet, les femmes ont tendance à dire que ça ne sert à rien d’avoir un réseau alors que dans l’entreprise les réseaux informels ont beaucoup d’importance et qu’il faut savoir se rendre visible pour qu’on pense à vous. En ce moment nous sommes en train de faire un atelier sur la voix et la posture, la voix grave étant une voix associée à l’autorité. Certains ateliers sont gratuits et animés par des adhérentes managers et d’autres sont payants, comme celui sur la voix, animé par un coach extérieur.
4) On a mis en place également un programme de mentoring constitué de femmes et d’hommes managers qui mentorent des jeunes femmes ou des femmes qui sont dans une période intermédiaire : j’ai la quarantaine, des enfants qui sont grands, je souhaite évoluer professionnellement et je me pose des questions. Il s’agit de partages d’expériences entre managers qui n’ont pas de liens hiérarchiques. On cherche même à prendre des mentors qui viennent d’autres pôles ce qui leur permet de découvrir des cultures différentes. Ce mentoring lorsque le mentor est un homme donne accès à ce dernier, en outre, au langage de la femme.
5) On organise, enfin, des cocktails ou des déjeuners de networking entre adhérentes ; comme notre réseau tend vers une représentativité de l’ensemble des pôles, cela permet à nos membres de découvrir d’autres directions plutôt que de rester dans leur univers.
Des formations sur l’importance de la Diversité sont par ailleurs organisées au sein de l’université Corporate, au niveau du Groupe.
La trajectoire suivie par le Réseau
900 personnes en France font aujourd’hui partie du réseau avec des relais dans les différentes entités du groupe à l’étranger et en province (Lille, Lyon, Strasbourg et Rennes). En tout nous devons être environ 2500 membres au sein du Groupe.
Concernant la province, la difficulté est d’avoir une taille critique c’est-à-dire d’être suffisamment nombreuses pour organiser des conférences, des ateliers, etc.
Féminin by Société générale a d’abord été constitué de cadres dirigeantes (2004) puis de femmes managers de plus de dix ans d’expérience (2005) puis, en 2008, il a été ouvert à toutes les femmes cadres. En parallèle se sont organisés les réseaux à l’étranger et en Province.
Enfin, quand on parle de mixité, je pense qu’à un moment donné il faut ouvrir aux hommes. On est donc en train de travailler sur le sujet pour aller plus loin avec les hommes sur certaines actions.
La création de Financi’elles
Le besoin d’avoir une taille critique sur certaines zones géographiques a été l’un des motifs de la création de Financi’elles qui est une fédération de Réseaux de femmes, Banque et Assurance, créée en 2010.
Financi’elles est une initiative du réseau de BNP Paribas, Mixity, et de Féminin by SG. Nous avons échangé sur nos actions : Mixity était très bon en termes de communication et nous très bons dans les actions organisées. Nous nous sommes donc dit : pourquoi ne pas créer une fédération de réseaux ?
Financi’elles nous permet :
– d’avoir des benchmarks pertinents, entre entreprises du même secteur
– d’échanger sur des bonnes pratiques, notamment sur les aspects RH
– sur la province, de réfléchir à des événements communs, réunissant l’ensemble des réseaux, pour avoir une taille critique suffisante.
Et puis le réseau nous donne une force… politique, on va dire !
Dix réseaux composent aujourd’hui Financi’elles. Le Comex se réunit tous les quinze jours, une réunion des présidentes a lieu une fois par trimestre et des conférences croisées sont organisées toute l’année. Nous participons également au Cercle RH, à l’Institut Montaigne et allons réaliser en 2013 – comme en 2011 – le baromètre des femmes du secteur, en partenariat avec le CSA.
D’autres réseaux assez importants existent dans d’autres secteurs, comme Les Elles de l’auto, dont on s’est inspirées pour Financi’elles.
Les résultats
Ça évolue doucement mais on a progressé. Depuis 2004, le 50/50 a bougé de deux classes, donc c’est pas mal ! On est passé de 22 à 27 % de femmes sur la classe juste avant les cadres Dirigeants. Il a du progrès, donc, mais c’est vrai que c’est encore très lent.
Parce qu’on commence à avoir un certain vivier, on préconise aujourd’hui des objectifs chiffrés officiels, qui ne soient pas simplement dans la tête des uns et des autres. Je pense qu’à un moment donné c’est nécessaire de fixer des quotas avec un horizon de temps qui soit raisonnable.
Aujourd’hui, les femmes qui sont à ce niveau-là, elles le méritent bien…
Dans la tête d’un manager c’est une prise de risque que de mettre une femme à un certain niveau, il va le prendre comme ça. C’est pour ça qu’on le sensibilise aux enjeux liés à la mixité mais il faut aussi qu’il soit mis en valeur vis-à-vis du risque qu’il prend. Donc, fixer des objectifs et évaluer la performance en fonction de ces objectifs devient une nécessité, à un moment donné, surtout s’il y a suffisamment de femmes en termes de vivier.
Les conseils aux entreprises souhaitant créer un réseau de femmes
Tout d’abord, il est fondamental d’avoir le soutien de la Direction Générale. Nous on est indépendantes des RH mais on travaille en fort partenariat avec eux et c’est très important : on ne peut pas faire grand-chose si, à un certain moment, les RH ne prennent pas le relais.
Ensuite, il faut des actions et, pour ce faire, assez rapidement se structurer avec une équipe suffisante, surtout quand on contribue au réseau en plus de son métier, sinon on s’essouffle.
Par exemple on est dix au sein du bureau, si l’une d’entre nous n’est pas là à notre réunion du vendredi, ce n’est pas une catastrophe, ça permet quand même d’avancer.
Chaque membre du bureau a par ailleurs une fonction spécifique : trésorière, secrétaire générale, présidente ou encore responsable de commission (développement personnel, communication (site, newsletter), développement international et région, partenariat avec les RH, organisation des événements, conférences, déjeuners, etc. Ce sont ces commissions qui permettent de mener les actions.
Ensuite, on s’appuie sur le volontariat des adhérentes. Dans la première phase, elles étaient contentes d’être sensibilisées mais ensuite elles nous ont dit : « Nous aussi on veut agir ». Elles interviennent donc également au sein des commissions.
Je pense que s’agrandir petit à petit est aussi une condition de succès. En 2004 les esprits n’étaient pas très prêts. Aujourd’hui, pour les entreprises, il y a une vraie prise de conscience de l’importance de la mixité et de la diversité dans les équipes managériales. Ça apporte un regard différent. Il ne faut pas que tous les managers soient des clones. Il y a également une prise de conscience sur le fait que ça ne se fait pas comme ça, tout seul, mais qu’il y a des actions à mener, alors qu’au début des années 2000, les managers et les dirigeants se disaient : « Finalement, ça va venir tout seul ». Aujourd’hui on voit bien que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas simplement parce que les femmes font des études comme les hommes que ça va se faire. Et ce n’est pas parce qu’il y a les congés maternité que ça explique qu’à mon niveau, par exemple, on n’est pas à parité.
Dans une période de crise, en outre, les places sont plus chères et les femmes doivent être plus combatives dans leur position. S’adresser à toutes les cibles est primordial, on ne peut pas juste dire : « c’est la faute des managers », non, tout le monde est concerné et doit agir pour qu’il y ait cette mixité.
Je pense que construire un réseau de femme est très important pour faire évoluer la mixité au sein de l’encadrement. D’abord parce que les femmes ont tendance à ne pas se constituer naturellement en réseau ensuite parce que les réseaux de femmes sensibilisent les femmes. Or c’est d’abord avec elles qu’il faut travailler.